Europe sociale, es-tu là?

Publié le par S

Europe sociale, es-tu là? Oui peut-être, diront ceux qui percevront des avancées concrètes dans le projet de directive révisée sur le temps de travail présenté hier par la Commission; ils y verront en effet quelques signaux positifs comme l'accent mis sur la sécurité et la santé des travailleurs ou encore la nécessaire adaptation du travail à l'homme, et ceci semble-t-il avant toute exigence économique...

Pour d'autres en revanche, cela ne suffira pas; pire, ces mêmes signaux pourraient n'être que mirages. Car pour les sceptiques ou encore les cartésiens, tels qu'on les nommera ici un peu facilement, on est encore loin du compte. Loin, très loin même des objectifs fixés par M. Barroso les 24 et 25 mars 2005 lorsqu'il réaffirmait sa stratégie de Lisbonne: faire de l'Europe une terre vertueuse de croissance, de compétitivité et de connaissance...

Le projet de directive présenté hier reprend pourtant scrupuleusement ces objectifs. Travailler mieux oui, dans un univers professionnel à l'écoute et selon des horaires strictement définis; la directive de 1993 sur le temps de travail les avait déjà édictés, au moment où il fallait justement donner des règles au marché commun: la durée maximale de travail hebdomadaire ne devait pas excéder 48 h par semaine, ceci à l'exception de certaines dérogations nationales ou sectorielles, appelées clauses d'"opt-out". Le projet présenté hier rappelle donc cette durée maximale. Soit. Nous voilà rassurés. Autre défi de Lisbonne inscrit dans la directive révisée: faire en sorte que ce même travail n'empiète pas sur l'épanouissement personnel des citoyens ni sur leur vie familiale. Et encourager les employeurs et les partenaires sociaux à parvenir à des accords respectueux de la constitution physique et mentale des travailleurs. Soit. Nous voilà enchantés.

Pourtant, le Parlement et la Confédération européenne des syndicats ne l'entendent pas de cette manière. Et ils ne voient visiblement pas les mêmes signes, car ils agitent eux un autre spectre: celui de la dérégulation et de l'assouplissement des contraintes pour les employeur. En cause? Plusieurs points. L'"opt-out", précisément, qu'ils auraient souhaité ne plus voir apparaître dans les textes; ces clauses de dérogation permettent en effet à un pays ou une branche professionnelle de ne pas se plier à la contrainte des 48h maximales de travail hebdomadaires et d'aménager les situations au cas par cas. Il sera ainsi facile de rappeler ici que la Grande-Bretagne y a toujours dérogé, en faisant notamment pression sur les législateurs pour que ces clauses soient maintenues dans les directives, sans pour autant que son taux de productivité-horaire caracole en tête des pays de l'UE...Mais là n'est pas la question.

L'autre point de désaccord porte sur les périodes de références pour le calcul de la durée hebdomadaire maximale moyenne de travail...Car dans le projet de directive révisée, la période s'étend en effet de 4 à 12 mois et ça ne passe pas au niveau du Parlement et de la Confédération des syndicats. Même chose pour la redéfinition opérée par la Commission en ce qui concerne les temps de garde au travail et la distinction faite entre heures travaillées et heures inactives; le cas s'est posé pour les services de garde médicaux et les médecins en formation. La Commission a pourtant exclu dans son projet révisé que les heures passées de "manière inactive" sur le lieu de travail soient considérées comme du temps de travail et rentrent ainsi dans le calcul des repos hebdomadaires ou journaliers. Le Parlement et la Confédération des syndicats ont même rejeté en bloc cet article...

Il serait alors facile de répondre non. Non, l'Europe sociale n'est pas là. Manichéisme à l'appui, on pourrait se figurer la situation ainsi avec d'un côté les "dérogateurs" libéralistes touts puissants et de l'autre, les défenseurs impuissants d'un modèle européen à haute valeur sociale....Oui, l'Europe sociale n'est peut-être encore qu'un fantôme...et le pouvoir du Parlement sur ces questions aura été très mince. Pourtant, il est peut-être justement dans cette contradiction, ce fameux modèle social européen. Ou plutôt dans ce consensus fait de droits fondamentaux à respecter et de libertés individuelles, telles que celles de vouloir travailler plus et de gagner plus...Mais il faudra alors trouver les bons dosages.

Décembre 2005. Dess. Exercice édito.

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